La publication de l’article « La prochaine cible de la droite trumpiste : les personnes handicapées », dans le Journal de Montréal, m’inquiète. Elle me pousse à rappeler à quel point l’entrepreneuriat inclusif peut être une solution porteuse pour les personnes en situation de handicap.
Pour vous mettre dans le contexte, je vis avec une surdité sévère à profonde de naissance. Mon oreille droite entend aujourd’hui grâce à un implant cochléaire. L’oreille gauche n’entend pas. J’ai grandi dans un milieu dit “inclusif” – c’est-à-dire une famille où personne n’avait les mêmes défis que moi. Comme beaucoup de personnes qui ont un handicap invisible, je voulais être comme les autres. Je ne voulais pas qu’on voie mes défis de communication. À tel point que j’ai longtemps refusé les aides qu’on m’offrait pour mieux performer à l’école ou améliorer mon quotidien. J’y avais droit, mais je ne voulais pas qu’on m’associe à une “différence”.
Vers la fin de l’année 2017, j’ai ressenti une grande fatigue — autant professionnelle que communicationnelle. J’étais fatiguée de devoir m’adapter en permanence, d’avoir constamment le sentiment d’en faire plus que les autres pour me réaliser. J’ai alors décidé de ralentir mon entreprise pour entamer une démarche d’acceptation de ma surdité, mais aussi pour retrouver une nouvelle forme d’énergie et réduire mes efforts d’adaptation. J’ai consulté différents professionnels de l’audition et je me suis informée sur les nouvelles technologies. Puis j’ai accepté d’être opérée pour recevoir un implant cochléaire — une décision qui m’a fait réaliser toute ma débrouillardise, puisque j’ai dû réapprendre à entendre à partir de zéro.
Dans ma démarche d’acceptation de la surdité, et à travers mes recherches sur l’entrepreneuriat inclusif, j’ai eu la chance d’échanger avec plusieurs personnes en situation de handicap. Ces discussions m’ont aidée à mettre des mots sur ce que je vivais, mais aussi à mieux comprendre des réalités différentes de la mienne.
Ce qui revient souvent, c’est que plusieurs ne se définissent pas par leur handicap. Elles veulent s’épanouir, contribuer, se dépasser. Comme tout le monde. Elles n’ont pas choisi leurs défis, mais elles s’adaptent. Et surtout, elles font preuve d’une débrouillardise impressionnante pour vivre autrement, développer leurs talents, créer du sens.
Le problème ? C’est la société qui leur rappelle constamment leurs limites. Des préjugés, des commentaires maladroits lorsqu’elles demandent de l’aide, des refus d’embauche sans même avoir la chance d’expliquer leurs besoins, ou encore des lieux tout simplement inaccessibles.
Alors, quand je lis que leurs droits sont aujourd’hui menacés par l’administration Trump et ses partisans, je m’inquiète. Parce que ce message — celui que les personnes en situation de handicap seraient un poids pour la société —, c’est exactement ce qu’on tente de déconstruire depuis des années au Québec.
Même si ce sont surtout les personnes les plus vulnérables qui sont visées, ce type de discours peut avoir un impact ici aussi. Et ce serait bien dommage. On a fait tellement d’efforts collectifs. Grâce aux organismes, aux personnes concernées, aux employeurs plus ouverts, aux médias qui leur donnent une voix…
Ce que ces personnes ont besoin, ce n’est pas d’être étiquetées ou mises de côté.
C’est qu’on reconnaisse leur potentiel et qu’on leur donne les mêmes chances que tout le monde.
Et ça, à mon avis, c’est l’affaire de tous.
L’entrepreneuriat inclusif, une solution?
Pour moi, l’entrepreneuriat inclusif, ce n’est pas seulement offrir à tous une chance égale de créer une entreprise.
C’est aussi :
- Créer un environnement où chacun est encouragé à réaliser ses rêves — que ce soit dans le sport, l’art, la santé, l’environnement, les communications, la technologie… ou ailleurs.
- Valoriser les compétences uniques des personnes en situation de handicap, sans se limiter à l’image inspirante.
- Normaliser le mot handicap et améliorer l’estime de soi et la confiance en soi chez les personnes en situation de handicap.
- Alléger les barrières à l’accès à l’aide : financement, accompagnement, matériel, réseaux, formations.
- Encourager les décideurs à miser sur leur potentiel, et à mettre en place une sensibilisation continue dans leur entreprise.
- Adapter les programmes existants pour qu’ils soient réellement accessibles.
Mais surtout… comprendre que l’inclusion, c’est un moteur d’innovation, pas une case à cocher.
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Il y a urgence à renforcer l’inclusion des personnes en situation de handicap dans nos milieux de travail. Pas pour suivre une mode. Pas pour bien paraître. Mais parce que c’est ce qu’on doit faire pour bâtir une société plus juste, plus forte, plus représentative.
Et cette inclusion commence par de petits gestes : écouter, s’ouvrir, informer, sensibiliser, offrir un stage, adapter un poste, ajuster un programme.
Ces petits gestes — cette ouverture d’esprit — c’est le début de tout.
Quand une personne en situation de handicap sent qu’il existe des ressources adaptées à sa réalité, ça peut la motiver à être plus autonome. Certaines vont jusqu’à créer leurs propres opportunités.
C’est là que l’entrepreneuriat inclusif prend tout son sens. Parce qu’il encourage à aller chercher de l’aide, à développer des compétences autrement, à contribuer à l’économie à sa façon — et surtout, à gagner en autonomie, sans dépendre uniquement de programmes.
Mais ça ne repose pas uniquement sur les personnes concernées.
Favoriser l’entrepreneuriat inclusif, c’est une responsabilité collective.
C’est offrir à chacun les mêmes droits, les mêmes chances, les mêmes conditions pour réussir.
Face aux discours qui fragilisent ces droits, comme ceux rapportés récemment aux États-Unis, le Québec a le pouvoir – et le devoir – de faire autrement.
L’inclusion des personnes en situation de handicap n’est pas une faiblesse.
C’est une force collective. C’est un acte de solidarité.
Et si on choisissait, ensemble, de promouvoir l’entrepreneuriat inclusif?